Alors que la filière porcine conventionnelle française est en déclin, le porc bio, lui, se porte bien. Quinze ans après la création de sa filière porcine bio, Biocoop prouve encore une fois qu’il existe d’autres façons de faire.
Dossier : la filière porcine bio, une réussite à mettre en regard des difficultés de la filière porcine conventionnelle
À partir du 03/01/2014
La filière porcine conventionnelle est-elle vouée à disparaître ?
Un contexte inquiétant :
« Au bord du gouffre », « dans l’impasse », si cela fait des années que la filière porcine conventionnelle souffre, ce n’est qu’aujourd’hui que les pouvoirs publics semblent ouvrir les yeux. Sans doute l’Etat est-il assez démuni dans un jeu dans lequel il ne maîtrise plus réellement la donne. Malgré tout, l’évolution structurelle du marché porcin est inquiétante avec une diminution importante de la production des élevages de porcs : en quatre ans, la production française de porcs a perdu quatre millions de têtes ! Or, 750 000 porcs en moins représentent déjà l’activité d’un abattoir de 800 salariés !
Pourquoi cette baisse de production?
Plusieurs facteurs peuvent bien sûr expliquer cette baisse de production. Entre autre la flambée des cours des matières premières allant de pair avec une baisse de rentabilité pour les éleveurs pour qui 70% des charges sont alimentaires. Concrètement, depuis 2007, les coûts de production sont de plus en plus souvent au dessus du prix de vente. Il faut réaliser qu’en avril 2005 le prix de la tonne de blé était à 100 euros, en mai 2013 il est à 232, 5 euros ! Or, que faire pour lutter contre la hausse des matières premières ? Les moyens d’action sont limités : c’est la loi du marché. Un éleveur en France est tributaire d’une sécheresse aux Etats-Unis ou au Brésil qui peut faire monter le prix de la tonne de blé jusqu’à 280 euros ! Ainsi, dans le contexte actuel il faudrait vendre le cochon 1,8 euros le kilo à l’abattoir quand il est vendu aujourd’hui à 1,65 euros le kilo. En attendant les banques prêtent, les coopératives font crédits mais là encore ce ne sont pas des solutions, seulement du bricolage de court terme.
C’est la concurrence allemande qui est largement mise en cause dans le déclin de la filière porcine française. On parle en effet de dumping social et fiscal de l’Allemagne qui fait travailler à moindre coût des salariés des pays de l’Est. Pas de norme européenne sur ce sujet là. Or, cela explique sans doute en grande partie le manque de compétitivité et le retard d’automatisation des outils français de transformation par rapport à nos voisins qui peuvent investir et se moderniser.
Autre facteur : le durcissement des normes environnementales, qui, imposées aux éleveurs pour le bien-être des truies (depuis le 1er janvier 2013), impliquent des investissements supplémentaires entrainant un endettement trop important pour certains éleveurs…D’autres points sont également mis en cause comme les lenteurs de l’administration française par exemple qui ne permettent à un éleveur d’étendre son élevage qu’au bout de 6 ans tandis qu’il ne faut que 6 mois à un éleveur allemand pour faire de même
La crise a révélé des fragilités tout au long de la chaine
La première conséquence de la baisse de production française de porcs est la surcapacité d’abattage des abattoirs qui entraîne dans son sillage une augmentation du coût d’abattage unitaire tandis que les éleveurs et les industriels travaillent à perte. Dans ce contexte les abattoirs, trop nombreux sont devenus le maillon faible du système et se retrouvent coincés entre un arrivage de porcs moins important à un prix plus élevé d'un côté et de l'autre la main mise des grandes surfaces qui refusent d’augmenter leurs prix d’achat. La crise a en fait révélé des fragilités tout au long de la chaine de la filière.
Inutile aussi pour les abattoirs de penser à l’export. Là encore, la concurrence allemande joue tandis que les tarifs de leurs produits font concurrence aux abattoirs français sur le marché hexagonal, dans la distribution. L’Allemagne dicte les prix et les règles du jeu avec la production la plus importante d’Europe. Comment rivaliser avec une entreprise comme Tonnies qui abat plus de 15 millions de porcs ? En France, malgré le développement de formes collectives, les élevages sont de taille modeste et largement familiaux avec une moyenne de 190 truies soit près de 4700 porc produits par an…
Dans un environnement de compétitivité, de marché, tout n’est que rapport de force, avec la grande distribution, avec l’Allemagne …or, l’absence d’une véritable dynamique collective au sein de la filière porcine en France ne vient pas contrebalancer cet état de fait avec une vision de long terme commune. Difficile dans ce contexte d’investir dans des outils performants, difficile aussi de pousser les jeunes à reprendre les élevages familiaux.
Des solutions ?
Pour lutter contre le déclin de la filière porcine, les solutions se font rares. On parle de revaloriser les prix de vente mais ce serait aux dépens du consommateur et la distribution redoute une baisse de la consommation.…ou encore de refonder l’étiquette Viande Porcine Française (VPF) afin de mettre en avant le « savoir-faire et la qualité des produits français ». Malheureusement, il semble que c’est le système même qui est malade et ne reflète plus justement la réalité. Quant à l’abolition de l’écotaxe ce n’est pas vraiment une solution mais plutôt un moyen de gagner du temps.
Chacun se creuse la tête et tente d’inventer des solutions…on hésite, on se risque, à l’instar du ministre chargé de l’agroalimentaire il y a un an à dire qu’« il faut trouver une sortie positive sur l’environnement. Sortir du conflit entre les producteurs de porcs et le reste de la société. Les Allemands l’ont fait. Les énergies renouvelables et la méthanisation peuvent être une vraie porte de sortie … ». Mais ce sont encore des investissements…
La filière porcine bio : la force tranquille
Hors système
Déconnectée du conventionnel avec des objectifs différents, la filière porcine bio s’organise selon ses propres besoins avec une structuration qui lui est propre. En marge du « marché », la filière bio continue de progresser…lentement mais sûrement…
Le consommateur avant tout
Si la filière porcine bio reste très marginale par rapport à la filière conventionnelle (0,2% de la production porcine globale), force est de constater que c’est une filière en plein essor avec la plus forte croissance parmi les viandes biologiques françaises. Le nombre d'élevages en France a en effet fortement augmenté pour atteindre 323 élevages en 2011, et un peu plus de 73 000 animaux abattus. Seulement 44 300 têtes avaient été abattues en 2009, soit une augmentation de 65% en 2 ans. Ce marché a été multiplié par 2,5 en 6 ans et représente actuellement 58 millions d'euros.
C’est à partir des besoins du consommateur que se fonde toute la stratégie de la filière porcine Bio.
Avec une question de départ très terre à terre : « comment répondre aux besoins d’un consommateur tout en évitant le gâchis ? ». En effet, toutes les parties du cochon n’intéressent pas autant le consommateur qui a une préférence pour le jambon… Il s’est donc agit avant tout de trouver des solutions pour éviter les gâchis et réussir à tout vendre. Le défi auquel la filière est perpétuellement confrontée est de parvenir à l’équilibre matière : Pari gagné aujourd’hui avec un développement de la gamme et des produits de charcuterie en partenariat avec les transformateurs et un « équilibre matière global » qui est passé en 15 ans de 20 à 77%. Autrement dit, la balance entre l'offre et la demande en porcs Bio est très proche de l'équilibre.
L’alimentation des porcs : un enjeu central de la filière
L’organisation de la filière porc bio est assez complexe notamment parce que c’est un petit secteur dont les produits ne sont pas les plus demandés. Etre éleveur de porc bio est donc un véritable engagement car il faut respecter un cahier des charges extrêmement différent de celui de l’élevage conventionnel. De plus, la viande porcine biologique représente un coût important pour les consommateurs par rapport à la viande porcine conventionnelle avec un différentiel de prix très supérieur à celui existant entre viande bovine ou ovine. Pourquoi ? Parce que le coût de l’alimentation est élevé puisqu’il faut garantir également la provenance des matières premières. Ainsi, pas de recours aux acides aminés de synthèse ou aux matières premières agricoles conventionnelles ! Un des enjeux centraux de la filière est donc la mise au point d’aliments à la fois équilibrés à un coût raisonnable. Aussi, de plus en plus d’éleveurs produisent-ils une partie des aliments à la ferme ce qui induit forcément un temps de travail supérieur. Filière complexe également parce que de nombreux intervenants sont présents de la production à la distribution. Le développement des produits bio est donc le résultat d’un travail collectif entre éleveurs, transporteurs, abattoirs, transformateurs etc Les progrès continus du secteur ces quinze dernières années sont le résultat d’une action systématiquement concertée et mesurée entre les différents partenaires, d’une contractualisation et d’une planification toujours effectuée en fonction des besoins. Pas d’action sans équation à résoudre !
Des problématiques complexes : des réponses collectives
La filière doit faire face à de nombreuses problématiques. L’alimentation des porcs en est une, la maîtrise de la santé des porcs Bio est également un enjeu et un facteur de réussite de la filière. Là encore, comme pour l’alimentation des animaux, les réponses apportées sont le résultat de tâtonnements, de programmes de recherches, d’essais. Pas de formule universelle mais une multitude de critères propres à l’élevage, comme le type de circuit de commercialisation (long ou court) ou encore les types génétiques utilisés. En circuit long par exemple, les producteurs adhèrent à un groupement de producteurs comme Bio Direct qui est le principal partenaire de Biocoop avec 84% des approvisionnements au niveau de la centrale. Ensemble, les éleveurs tentent de résoudre les problèmes. Sur la chaine, un des problèmes est que les outils de transformation coûtent très chers et que les abattoirs viennent à manquer étant mal répartis sur le territoire… ce qui oblige à faire des km aux animaux…Beaucoup de défis à relever encore donc mais la filière porc bio révèle qu’une approche à taille humaine fonctionne et que c’est en mutualisant ses forces que l’on peut grandir durablement.