À la reconquête du sarrasin
À partir du 04/11/2021
par Pascale Solana
ll faut relancer la culture du sarrasin en France. Une relocalisation aux enjeux agronomique, écologique et alimentaire qui a déjà commencé chez Biocoop où le sarrasin est un produit emblématique. Voilà une histoire qui rassemble.
C’est une culture d’été. Mais pas sûr que vous aperceviez ses petites fleurs blanches en bouquets sur leur tige, ni leurs graines de bronze à trois angles, parce qu’en France, après ses heures de gloire, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le sarrasin est sorti des paysages au profit du blé, entre autres céréales. Aujourd’hui, celui qu’on appelait aussi blé noir est majoritairement importé des pays de l’Est. Notamment de Pologne – surtout la graine mondée – où sa consommation est traditionnelle, le climat favorable, et les équipements de décorticage performants.
Pourtant, le sarrasin est une culture aux nombreuses qualités, agronomiques, environnementales et nutritionnelles, que Biocoop a commencé à relocaliser en espérant contribuer à un vrai mouvement.
« La force de nos magasins, c’est de pouvoir entraîner à la fois des producteurs et des consommateurs sur des choix ou des positions de ce type, comme on l’a fait, par exemple, avec la relocalisation de la lentille : celle que l’on vend aujourd’hui est 100 % française », explique Patrick Colin, directeur de l’Amont chez Biocoop, convaincu de l’intérêt de ces reterritorialisations pour tous.
L’AKÈNE* RÉSILIENT
Le sarrasin se contente de terres pauvres et granitiques, et ses tiges plantées serrées font de lui un nettoyeur de sols car elles gênent le développement des mauvaises herbes.
« Il a le cycle d’une plante d’été comme le tournesol ou le maïs. Semé en mai-juin, il se récolte à partir de fin août tandis qu’un blé, semé en novembre, se récolte en juillet, ajoute Camille Moreau, directeur de Corab, coopérative sociétaire de Biocoop qui regroupe 190 agriculteurs bio de Poitou-Charentes. On peut le semer tardivement, ce qui permet à un producteur qui a raté sa culture ou subi un aléa climatique de se rattraper. »
Il nécessite peu d’interventions, pas de fertilisation, ni d’irrigation et résiste à la chaleur. Un atout au regard de la raréfaction globale de l’eau, car avec le dérèglement climatique, « nous aurons à faire des choix : irriguer pour des plantes destinées au bétail ou aux humains », prédit Camille Moreau, inquiet des caprices de la pluviométrie dans sa région.
Certes les rendements du carabin, bucail ou blé de barbarie, ses autres noms, sont très modestes, sa floraison étagée complexifie la récolte et les prix de revente sur le marché ne sont pas assez incitatifs, selon lui.
« Le sarrasin fait partie de ces cultures dites mineures ou auxiliaires mais il faut encourager son développement », insiste Patrick Colin. Et d’ajouter qu’il est très mellifère, « les pollinisateurs adorent le butiner ». Tant mieux : il est entomogame, c’est-à-dire que sa fécondation est assurée par les pollinisateurs. C’est pourquoi on installe des ruches en lisière de champs. Les abeilles en produisent un miel au goût très particulier.
En agriculture, le sarrasin est utile dans la diversité de l’assolement (répartition des plantations) et les rotations. « Pour un paysan, c’est important d’avoir une mosaïque de cultures dans le temps et l’espace pour régénérer ses sols », précise Patrick Colin.
À l’échelle de la planète, il faut aussi encourager la multiplicité car sur la quantité de variétés disponibles, elles ne sont que quelques-unes, toujours les mêmes, les plus rentables, les plus gourmandes, à occuper l’essentiel des surfaces cultivées. Le lien avec l’alimentation est direct : « Agir sur la diversité de cultures dans les champs et sur le marché, c’est permettre la variété dans l’assiette. C’est aussi ce que recherche Biocoop », s’exclame Patrick Colin.
* Fruit sec qui contient la graine en forme de trigone.
BOUFFEURS DE GRAINES !
De la famille des polygonacées comme l’oseille ou la rhubarbe, Fagopyrum esculentum, nom botanique du sarrasin, n’est pas une céréale. Il est donc naturellement sans gluten, ce qui le rend difficile à utiliser pur en panification (pain noir).
« S’il s’est développé dans les rayons bio et chez Biocoop il y a plusieurs décennies, c’est parce que les premiers consommateurs bio souhaitaient moins de viande, voire pas du tout, et recherchaient un équilibre et une diversité nutritionnelle à travers les “graines” », se souvient Patrick Colin. Source de protéines végétales, contenant des fibres, le sarrasin regroupe les huit acides aminés essentiels qui permettent l’assimilation des nutriments par l’organisme.
Pour être consommée, la graine au goût subtil de noisette doit être moulue et tamisée en farine, transformée en pâte (la soba japonaise) ou alors décortiquée de son akène, voire grillée (le kasha, sorte de bouillie russe), ce qui demande des équipements ou des variétés spécifiques jusqu’alors quasi inexistants en France.
« Jusqu’à notre rencontre avec des acteurs spécialistes, comme Atelier sarrasin, et à des programmations de cultures avec les producteurs des groupements sociétaires de Biocoop, nos Paysans associés », précise Patrick Colin. Des agriculteurs, des transformateurs, des commerçants, des consommateurs, « une bio qui rassemble »… et la recette est prête à servir.
DU RAYON À LA CUISINE
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